Dès 1959, dès les premiers livres que j’ai édités, j’ai « participé au motif ». J’avais eu beau écrire que « l’éditeur ne doit pas prendre parti », j’ai pris parti. La France faisait la guerre en Algérie. Ma génération était envoyée faire la guerre aux Algériens. Je n’ai pas publié de poésie. J’ai publié des livres qui témoignaient de cette guerre-là.
L’un des premiers catalogues portait cette citation de Péguy :
« Ces cahiers auront contre eux tous les menteurs et tous les salauds, c’est-à-dire l’immense majorité de tous les partis. »
A relire le florilège des insultes déversées pendant toutes ces années, ce n’était pas faux.
Je voulais faire mon édition à visage découvert, en ce temps de silence, tout comme je laissais grande ouverte la porte de ma librairie. D’ailleurs, je ne me souciais pas vraiment d’un avenir possible pour ma « maison »,. Le combat au jour le jour suffisait et bouchait le futur commercial.
L’un des premiers livres que j’ai édités était d’un écrivain disparu en 1940 et alors oublié : Paul Nizan. J’ai eu la chance que Sartre accepte de préfacer Aden Arabie(…)
Nizan, c’est vrai, appelait nommément à une trahison, mais c’était celle de la bonne conscience bourgeoise. Cela tombait bien : il n’était pas de jour où, dans la grande presse, nous ne soyons, mes camarades et moi, qualifiés de traîtres. Nous trahissions la France, en dénonçant la guerre coloniale, la torture et l’écrasement d’un peuple. Nous étions, j’étais, en colère. Si c’était cela, mon pays, je n’avais pas honte de le trahir, au nom de l’idée que je m’en faisais et que je voyais, moi, trahie.
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